Comment renaturer les sols urbains dans un concept d'économie circulaire ?

Interview avec Cédric Coquelin et Yannick Poyat de TeraSol
11 mars 2024 par
eqlosion

Cédric Coquelin, CEO de TeraSol, est ingénieur en environnement et pédologue de formation. Il est également certifié en cartographie des sols (CAS) et spécialiste en protection des sols sur les chantiers (SPSC) reconnu par la Société Suisse de Pédologie. Quant à Yannick Poyat, il est ingénieur agronome et Dr. en aménagement et urbanisme, spécialiste en sols urbains.


Start-up romande créée en 2022, TeraSol est spécialisée dans l’expertise pédologique, autrement dit l’étude scientifique des sols. Ses services sont principalement tournés vers la revalorisation des matériaux d’excavation, le conseil agro-pédologique, le développement d’outils pédologiques ainsi que de cartographie des sols urbains. L’entreprise développe actuellement ExoSol, un procédé qui vise à revaloriser les matériaux d’excavation urbains pour les transformer en substrats fertiles. En effet, de nombreux projets de renaturation des villes voient le jour afin de répondre aux enjeux liés au réchauffement climatique (îlots de chaleur, inondations) et favoriser la biodiversité urbaine. Rien que dans le Canton de Vaud, le manque de terre végétale nécessaire aux plans d’aménagements paysagers est estimé à quelque 220’000m3 par an d’ici 2030, alors que les matériaux d’excavation (inertes) sont en grande partie menés en décharge. Aussi, les objectifs d’ExoSol sont de rendre le processus de renaturation des villes le plus durable possible, en réduisant les gaz à effet de serre (lors des transports de matériaux), de stocker du carbone dans les substrats fertiles et de préserver la terre végétale.


Pouvez-vous brièvement présenter le processus d’ExoSol ?


Pour aménager leurs nouveaux espaces verts, les villes doivent importer de la terre végétale, une ressource finie qui devient rare et qui provient du milieu agricole, alors même qu’un nombre considérable de leurs matériaux d’excavation est jeté en décharge, parfois lointaines. Aussi, pour limiter ces différents transports de terres et préserver les sols agricoles, nous proposons un procédé qui consiste à revaloriser les matériaux inertes des chantiers urbains en les transformant en substrats fertiles de plantation. Schématiquement, nous y ajoutons de la matière organique, nous l’ensemençons avec un mélange de graines spécifiques et laissons ce mélange maturer afin que la vie s’y installe. Concernant la matière organique, nous avons fait des essais concluants avec du compost du fumier et du digestat solide. Cependant, dans un objectif d’économie circulaire, le compost est la meilleure option étant donné qu’il s’agit de déchets verts urbains produits sur place.


Pourquoi les sols urbains sont-ils peu fertiles ?


Les sols naturels sont composés de plusieurs couches superficielles enrichies par des millions d’années d’évolution. A l’inverse, les sols urbains sont peu profonds, compacts, peu aérés et pauvres en réserve d’eau. Ils sont par conséquent peu fertiles et ne peuvent restituer que peu de services écosystémiques. Par ailleurs, même si les sols urbains sont potentiellement déjà riches en matières organiques, le simple fait d’en ajouter ne les rendra pas davantage fertiles, car il ne s’agit là que d’un seul paramètre parmi de nombreux autres qui caractérisent la bonne santé d’un sol. C’est pourquoi ExoSol n’est pas un engrais mais un véritable procédé qui regroupe les nombreux concepts pédologiques.


Quelle est la différence entre ExoSol et un engrais ?


Un arbre a besoin de plus que du compost pour grandir et survivre sur le long terme. Nous ne vendons par conséquent pas un terreau ou un fertilisant mais essayons de rendre des sols urbains aussi autonomes que possible, sachant qu’un sol naturel en bonne santé est un sol autonome qui n’a pas besoin de l’action humaine pour accueillir la vie, autant végétale qu’animale. Pour y parvenir, nous récupérons les matériaux d’excavation des chantiers urbains, vérifions le potentiel agronomique du matériel terreux, mélangeons cette matière minérale à de la matière organique, ensemençons ce mélange puis, surtout, nous le laissons maturer durant minimum une année. Ce procédé demande une certaine expertise pédologique. L’ensemencement est effectué avec un mélange de graines spécifiques, adéquates pour le milieu. Ces plantations feront ensuite ce qu’elles savent faire de mieux : capter du carbone pour grandir. Plus qu’un simple produit, nous proposons tout un concept d’économie circulaire autour de la planification des chantiers. Nous sommes avant tout un bureau d’études et nous accompagnons les villes et leurs architectes dans leurs projets. Le client fournit les ingrédients (matériaux d’excavation et matière organique) que nous transformons grâce à notre savoir-faire. 




Est-ce que d’autres entreprises proposent des services similaires sur le marché ? 


Non, du moins pas en Suisse romande. Il s’agit d’un marché émergeant. D’autres entreprises existent en Europe, mais elles peuvent se compter sur les doigts d’une main car il ne faut pas nous confondre avec celles qui se contentent de faire du simple terreau, sans se soumettre à toutes les étapes de maturation. 


Pourquoi avez-vous souhaité réaliser une ACV d’ExoSol ? 


Une ACV (analyse du cycle de vie) de notre procédé va nous permettre de mieux appréhender tous les aspects de son cycle de fabrication ainsi que sa capacité à emmagasiner du carbone. Nous pourrons ainsi le perfectionner pour permettre une chaîne d’approvisionnement régionale qui limite au possible les transports, les émissions carbone, les taxes de décharge, et qui bien sûr recycle aussi les matériaux d’excavation et les composts. De plus, les institutions publiques et les maîtres d’ouvrage demandent de plus en plus des documents pour justifier que le produit est durable. Nous voulons ainsi prouver que nous ne proposons pas du greenwashing et que la réduction des gaz à effet de serre est réelle. L’ACV sert par conséquent à crédibiliser notre travail mais aussi à l'améliorer.    


Quels sont vos prochains défis ? 


Nous sommes en train d’embaucher un responsable scientifique pour augmenter nos prestations qui, pour le moment, ne comportent que deux types d’ExoSol. Nous voulons notamment adapter le concept aux toitures et aux terrains de foot.  En agrandissant notre équipe, nous aurons ainsi plus de temps pour travailler sur la recherche de fonds qui nous aideront à investir davantage dans du matériel de laboratoire et de recherche ainsi que trouver une plateforme pour pouvoir stocker de l’ExoSol. Nous avons déjà des pistes avec différents partenaires dont des communes vaudoises. Notre plateforme actuelle, sur laquelle nous développons tous nos produits, n’est en effet garantie que jusqu’en octobre 2024. Il est imaginable de se coordonner avec les villes pour trouver des parcelles aux alentours des chantiers et les utiliser temporairement pour faire maturer la terre d’excavation. Néanmoins, nous aimerions également créer des pépinières fixes.