Revenir au site

Parlement, la vague verte de 2019 peut-elle véritablement ancrer la Suisse dans une logique forte de développement durable ?

Avec 17 sièges supplémentaires au National, les Verts ont effectué une progression record lors des élections fédérales de cet automne. Les Vert'libéraux, eux, en ont gagné 9 de plus qu'en 2015. Quelles pourraient être les conséquences de cette vague verte pour la Suisse? Cette nouvelle configuration peut-elle véritablement ancrer notre pays dans une logique forte de développement durable?

Nous avons posé la question à Adèle Thorens, Conseillère aux Etats chez les Verts et à Isabelle Chevalley, Conseillère nationale vaudoise Vert'libérale.

À quel changement de dynamique faut-il s’attendre au sein du conseil national et du conseil des États ?

Adèle Thorens: La dynamique actuelle, qui voyait le Conseil national, avec sa majorité de droite conservatrice PLR et UDC bloquer les amélioration en matière environnementale ou progressiste, alors que le Conseil des Etats était plus ouvert, va s’inverser. Le nouveau Conseil national pourra probablement prendre des décisions plus courageuses en matière de durabilité : les Verts, les Vert'libéraux et le parti socialiste n’auront besoin que d’une partie du groupe PDC pour obtenir des majorités.

Cependant, ces décisions courageuses risqueront d’être bloquées par le Conseil des Etats, où le PDC, le PLR et l’UDC sont restés très puissants. Si les Verts y ont progressé, les Verts libéraux en restent absents et le PS a perdu des sièges. Comme c'était déjà le cas jusqu'ici, le PDC jouera un rôle clé. Or les positions de ce parti en matière environnementale et sociétale peuvent être très variables. Certains élus PDC, en particulier lorsqu’ils viennent des régions périphériques, sont très conservateurs sur les questions de société ou en matière écologique, comme l’a montré par exemple la récente révision de la Loi sur le chasse.

Isabelle Chevalley: Le changement est majeur et ceci pour 2 raisons. La première c'est que deux groupes politiques ne peuvent plus, à eux seuls, prendre de décision. Il faut au minimum trois, voire quatre groupes. Cette situation va obliger le dialogue et le consensus.

La deuxième raison c'est qu'il y a plus de 80 femmes. Cela est du jamais vu! Etant donné qu'une femme n'a pas l'impression de perdre la face lorsqu'elle renonce à ses idées cela permettra aussi de trouver des consensus. C'est une situation inédite. Sans parler du fait, bien sûr, que le nouveau Parlement est aujourd'hui clairement tourné vers des idées environnementales.

Quels changements législatifs majeurs pourraient subvenir ?

Isabelle Chevalley: Il y en a plusieurs et en premier lieu la loi sur le CO2 mais aussi la question européenne. J'espère également que l'on va enfin pouvoir réformer l'AVS. Il faudra aussi s'attaquer sérieusement aux plastiques.

Adèle Thorens: Nous espérons que nous parviendrons à renforcer la Loi sur le CO2. Cela devrait se faire en deux étapes. Nous allons tout d’abord tenter de terminer rapidement l’étape actuellement en cours de révision, sur la base des travaux du Conseil des Etats, qui a amélioré la première version de la loi du Conseil fédéral. Ce texte sera attaqué en référendum par l’UDC et il faudra le défendre devant le peuple. Ce premier paquet de mesures devra être appliqué rapidement pour apporter une première réponse à l’urgence climatique. Nous lancerons alors une deuxième étape plus ambitieuse, pour compléter ce que nous serons parvenus à faire passer dans un premier temps. Il faudra probablement compter avec des mesures additionnelles dans le domaine de la finance et de la mobilité. Il n’est pas forcément nécessaire qu’elles passent par des taxes. Des prescriptions strictes pour les nouveaux véhicules pourraient aussi faire l’affaire. Les mesures les plus efficaces et disposant du meilleur potentiel d’acceptation doivent être privilégiées. Les questions des pesticides, de la responsabilité sociale et écologique des grandes entreprises et de l’économie circulaire seront également traitées pendant la prochaine législature, avec la possibilité de passer également en vote populaire pour les deux premières, et pourraient déboucher sur des changements législatifs. Dans le domaine sociétal, l’égalité et la politique familiale feront débat, ainsi que la question européenne, qui fera son grand retour, inauguré par le vote populaire sur la poursuite des bilatérales.

Selon vous, quels sont les secteurs d’activité/organisations qui seront le plus mis sous pression ces prochaines années du point de vue réglementaire ?

Isabelle Chevalley: Je pense aux distributeurs tels que COOP ou Migros qui jusqu'à présent, ont eu de la peine à faire des actes concrets et ambitieux. Je penses par exemple aux plastiques, au suremballage et au gaspillage alimentaire. Le secteur du transport individuel va également subir des changements importants.

Adèle Thorens: Pour les sujets qui m’intéressent, très certainement le domaine de l’énergie, de la mobilité (y compris l’aviation) et du bâtiment, ainsi que le secteur financier. L’agriculture également, avec la nécessité de tenir compte de manière particulièrement attentive de la situation économique et sociale des familles paysannes, qui est très délicate. Ces familles doivent être accompagnées et soutenues dans la transition écologique qui touche leur secteur. Enfin, la transition vers une économie circulaire pourrait toucher l’ensemble de notre économie, au-delà du commerce de détail et du secteur de la gestion des déchets qui sont en première ligne. Si nous considérons sérieusement cet enjeux, ce sont tous nos modes de production, sur l’ensemble de la chaîne de valeur, mais aussi de consommation, qui devraient évoluer. De nouveaux modèles d’affaire devront émerger, plus souvent axés sur l’éco-conception, la réparation, la revalorisation et la réutilisation des biens, ainsi que sur l’économie de fonctionnalité (économie de partage, vente de l’usage des biens plutôt que des biens eux-mêmes). Cette transformation aura un impact sur l’emploi et pourrait déboucher sur une re-localisation et une évolution importante d’une partie d’entre eux. Elle va se combiner à la transition numérique, qui est porteuse, en termes de durabilité, du meilleur comme du pire. Elle permet en effet une optimisation de la gestion des flux énergétiques et de matériaux et elle est indispensable au développement de l’économie de partage. Mais elle suscite aussi des effets rebonds, par exemple avec la consommation énergétique grandissante des centres de stockage et de calcul de données, ou des activités « dématérialisées » comme le streaming. Le développement de technologies comme la 5G, qui pourrait avoir un potentiel positif en termes de durabilité dans le domaine de la mobilité par exemple, suscite également des questionnements en matière d’impact sanitaire et environnemental. Bref, les choses ne sont pas simples et un accompagnement législatif intelligent sera nécessaire pour encadrer ces transitions.

Peut-on s’attendre à des surprises ?

Adèle Thorens: Il y a toujours des surprises ! La question est de savoir si le trend incarné par les vagues vertes et violettes vont se maintenir au sein de l’opinion publique. Il est difficile de dire aujourd’hui dans quelle mesure les nouvelles majorités qui peuvent potentiellement se créer au parlement en faveur de la durabilité se concrétiseront. Par ailleurs, il faut s’attendre à ce qu’une partie des décisions prises par le nouveau parlement soit attaquée en référendum. Le peuple suivra-t-il ces décisions, qui seront plus concrètes et auront un impact sur la vie des particuliers et des entreprises ? S’il est certain que la transition écologique, en particulier dans le domaine du climat mais aussi du respect de la biodiversité, va devoir se faire, le rythme auquel elle va se développer est très incertain. Des retours en arrière, dans le cas où d’autres enjeux prendraient le dessus (problèmes économiques, migratoires ou sécuritaires par exemple), comme des accélérations brutales, en cas de chocs liés à la crise climatique, ne sont pas à exclure.

Quel est votre conseil pourriez-vous proposer à un chef d’entreprise ?

Isabelle Chevalley: Il faut anticiper plutôt que de devoir subir les nouvelles lois. Travailler avec nous les politiques et ensemble nous ferons des lois respectueuses de l'économie et de l'environnement.

Adèle Thorens: La transition écologique de notre économie comme de nos modes de consommation va se faire sans aucun doute. Les principales inconnues sont de savoir à quel rythme cela aura lieu, quels instruments de politique publique vont l’accompagner (plus ou moins efficaces ou contraignants en particulier), quel rôle joueront les consommateurs dans ce processus et qui en payera le prix, que ce soit en termes d’effort de changement ou de conséquences néfastes de la crise climatique. Le changement générationnel pourrait jouer un rôle d’accélération. La bonne nouvelle, c’est que nous disposons de l’ensemble des technologies et des solutions pour entreprendre cette transition et que nous avons, dans notre pays, la chance de bénéficier également des moyens financier nécessaires pour investir dans leur mise en oeuvre. Le problème est donc avant tout de nature psychologique et décisionnelle. Le rôle des collectivités publiques est d’accompagner la transition écologique en réalisant les investissements nécessaires pour mettre à la portée des entreprises et des particuliers les technologies et les solutions qui sont aujourd’hui déjà disponibles, et pour développer celles dont nous avons encore besoin pour demain. Je pense que les chefs d’entreprises devraient aborder la transition écologique comme une donnée claire et ferme pour demain et la considérer comme une opportunité. Il s’agit d’évaluer la manière dont l’entreprise peut faire évoluer ses pratiques et son modèle d’affaire pour répondre à cette situation. Dans un monde où les ressources sont de plus en plus rares et chères et où les nouvelles générations modifient leur manière de consommer, la transition vers des modes de production et des modèles économiques permettant de ménager l’environnent et de répondre aux attentes des clients de demain est forcément bénéfique. Comme le montrent les évolutions récentes au niveau de l’UE, notamment en matière d’économie circulaire, de gestion durable des plastiques ou de finance durable, des régulations vont intervenir tôt ou tard. Les entreprises qui s’y seront préparées disposeront d’un avantage concurrentiel.